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      L'insurrection populaire et la Transition au Burkina Faso

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      Review of African Political Economy
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            Abstract

            At the end of October 2014, Africa was again the scene of a popular uprising: in two days the people of Burkina Faso, in mass demonstrations, emptied the presidential palace of its occupant, exceeding even the slogans launched by political opposition and civil society organisations. On 31 October President Blaise Compaoré, after 27 years in power, was forced to resign. In this briefing, after a very brief overview of the dynamics of the struggles in Burkina Faso, Lila Chouli presents in broad outline the nature of the post-October transition, its relationship to the uprising and some of the principal contradictions and tensions contained in these developments.

            À la fin d'octobre 2014, l'Afrique était le “théâtre” d'un soulèvement populaire, particulier par sa fulgurance : en deux jours, les masses burkinabè ont vidé le palais présidentiel de son occupant, dépassant le mot d'ordre lancé par l'opposition politique ainsi que des organisations de la société civile. Qu'en est-il de l'après octobre 2014 ? Après un très bref rappel de la dynamique des luttes au Burkina Faso, nous présenterons à grands traits l'organisation de la transition post-octobre dans ses rapports à l'esprit du soulèvement populaire, dans sa pluralité, pouvant même être contradictoire … 

            Main article text

            C'est la deuxième fois dans leur histoire post-coloniale que les masses populaires burkinabè mettent fin à un régime despotique, la première ayant eu lieu le 3 janvier 1966 lorsqu'une insurrection faisait chuter la Ière République. La tradition de lutte ne s'est jamais démentie après cet « acte fondateur », tous les régimes qui se sont succédé y ont été confrontés, de différentes façons, y compris le régime de Blaise Compaoré. Le 31 octobre 2014, ce dernier est contraint de démissionner après avoir été 27 ans à la tête du pays et depuis 1983 (sous le Conseil national de la révolution jusqu'en 1987) aux plus hauts sommets de l’État. Cette insurrection ne surgit pas ex nihilo . Depuis quelques années nous assistions à une « montée spectaculaire des actions de contestation et d'opposition radicales face au gouvernement et aux institutions. Ce qui caractéris[ait] le Burkina Faso [était] une succession de mobilisations prenant comme terrain la rue, dépassant largement les structures organisées et n’étant pas l'apanage des urbains et/ou des “intellectuels” » (Chouli 2014). Au fil des années, s’était installé au Burkina Faso un « espace public oppositionnel », comme dirait Oskar Negt (2007) : « tous les potentiels humains rebelles, à la recherche d'un mode d'expression propre ». Tant dans le monde rural que dans les zones urbaines, des questions saillantes, telles que l'accès à la terre, les déguerpissements, l'agro-business, les conflits fonciers, la corruption, l'impunité, l’état des aménagements collectifs, etc. étaient très régulièrement l'objet de mobilisations organisées ou spontanées. Ce qui, sous le régime Compaoré, résulte aussi du travail d'ancrage populaire effectué par certaines organisations syndicales et associatives (Collectif de lutte contre l'impunité, Organisation démocratique de la jeunesse, Mouvement burkinabè des droits de l'Homme, Coalition contre la vie chère, etc.) qui ont élargi et politisé l'action revendicative dans le pays et particulièrement contribué à une jonction entre les fronts des luttes sociale et politique.

            Le régime de Blaise Compaoré avait précédemment connu deux situations de « double pouvoir » : celle de 1998 née de l'assassinat du journaliste Norbert Zongo et de la lutte contre l'impunité qui s'en est suivie. Ce mouvement interclassiste s’était étendu de manière soutenue sur plus de deux ans sur tout le territoire. Cette crise sociopolitique a marqué un tournant dans la lutte contre l'impunité et un réel essor des mobilisations populaires. La dernière grande expression du mécontentement populaire précédant l'insurrection populaire d'octobre 2014 a lieu en 2011, suite à la mort du collégien Justin Zongo, après de multiples arrestations par la police – et la répression meurtrière de manifestations, revendiquant la lumière sur cette affaire. Le pays était alors déjà dans une situation quasi insurrectionnelle. Le phénomène « émeutier » avec l'incendie de commissariats ainsi que d'autres symboles du pouvoir (gouvernorats, mairies, sièges du parti présidentiel, etc.) avait alors atteint une ampleur jamais égalée. À ce mouvement s’était greffée une série de mutineries militaires (environ huit vagues pouvant s’étendre sur plusieurs jours et à différentes garnisons en moins de deux mois et demi) et des conflits sociaux dans quasiment tous les secteurs de la vie économique (de la paysannerie à l'administration, en passant par les mines, etc.). A l’époque le pays n’était plus gouvernable. Jamais la faiblesse du régime avait été à ce point perceptible, notamment lorsque la garde présidentielle s’était elle-même rebellée. Tout au long de ce mouvement social, la question de la modification de la Constitution avait été un catalyseur de la révolte. L'insurrection populaire de 2014 fait ainsi partie de la même séquence historique.

            A l'approche des élections présidentielles, et dans les pas du mouvement social de 2011, alors que de nombreuses manœuvres du parti au pouvoir faisaient penser à une volonté de modifier la Constitution pour permettre à Blaise Compaoré de se présenter en 2015, voire à une succession dynastique au profit de son frère cadet, François Compaoré (son conseiller, membre du bureau politique du Congrès pour la démocratie et le progrès [CDP] et député depuis 2012), une mobilisation contre cette modification s'est organisée. C’était une réponse à la création en mai 2013 par l'Assemblée nationale d'un Sénat, vue comme l'instrument censé servir les desseins de Compaoré. En juin 2013, l'opposition politique qui avait déserté la mobilisation populaire comme mode d'expression politique depuis une vingtaine d'années, appelle à une marche contre la modification de la Constitution. Le parti présidentiel, ayant jaugé les rapports de force défavorables, préférera la voie référendaire dans un premier temps pour finalement revenir au coup de force qu'aurait été le vote de la loi par l'Assemblée nationale le 30 octobre. Dans la même période on a assisté à la création d'une floraison d'organisations citoyennes, dont le balai citoyen (en juillet 2013) ou le collectif anti-referendum (début 2014) ayant pour priorité la non candidature de Blaise Compaoré en 2015. Les manifestations appelées pour contrer le projet du président Compaoré ont toutes connu une participation massive et répétée. Mobilisations régulières aussi dans le camp adverse, dans une sorte de jeu de ping-pong. Cependant il faut souligner la réduction des revendications à la seule non candidature de Blaise Compaoré en 2015, sans se préoccuper de l'après, qui a été un des principes des organisations aux devants de la mobilisation, au point que celles insistant sur le lien indissociable entre cette exigence et la construction d'un projet politique et social alternatif se voyaient accusées d’être des « alliées objectives » de Blaise Compaoré. Cette posture ne pouvait que convenir aussi bien aux partis politiques d'opposition disposés à remplacer le CDP, qui pouvaient ainsi se garder d'exposer leur projet politique, qu'aux chancelleries française/européenne et états-unienne veillant à la limitation de la revendication dans le cadre de la démocratie, comprise comme économie de marché plus multipartisme, avec alternance en l'occurrence. Cette sorte d’évitement du débat sur l'après Compaoré et une absence de sens critique expliquent le fait que certains leaders d'organisations citoyennes et intellectuels aient facilité la confiscation de l'insurrection populaire par l'armée, en l'occurrence par le n°2 du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) de Blaise Compaoré, dont la mission était de protéger ce dernier. Mission que cette « armée dans l'armée » a rempli jusqu'au bout. La justification donnée à ce soutien – la nécessité de mettre fin aux pillages et saccages, c'est-à-dire une opération de “maintien de l'ordre” – a montré la vision politique limitée et confuse de certains leaders de la société civile. Une stratégie, visant à sauver l'essentiel face aux masses burkinabè résolue à faire partir Blaise Compaoré hic et nunc, qui aurait été vite mise au point au soir du 30 octobre.

            En effet, la radicalité des masses le 30 octobre a surpris les organisations politiques et la société civile : ce jour-là le but de la mobilisation était d'empêcher le vote de la loi et, par conséquent, la candidature de Blaise Compaoré en novembre 2015. Ce sont elles qui ont considéré que cela faisait bien trop longtemps déjà que Blaise Compaoré était au pouvoir et qui l'ont acculé à démissionner1. N'ayant pas chassé un militaire en civil pour le remplacer par un autre en treillis, relevant du RSP de surcroît, dès l'auto-proclamation de Zida comme chef de l’État sur la place de la Nation, accompagné de militants et d'intellectuels, des manifestants ont opposé leur refus spontané à la confiscation de leur victoire par le n°2 de cette unité. Mais Zida s'imposera finalement par la force. Les figures ayant soutenu la prise de pouvoir de Zida et surtout l'armée ont très vite sifflé la fin de l'intervention directe des masses dans l'organisation de la cité, mais sans vraiment être entendues. La pression des masses pour une transition civile, ayant reçu le soutien de la « communauté internationale » accourue tardivement, a finalement eu raison de l'intention des militaires de diriger la transition. Un pacte “raisonnable” a été trouvé pour une transition civilo-militaire, avec Zida comme Premier ministre de Michel Kafando, président de la Transition et ministre des Affaires étrangères. L’État post-insurrectionnel se retrouve ainsi d'une part dirigé par deux anciens collaborateurs (un militaire et un civil) du président déchu. Michel Kafando, qui est plus présenté comme un ancien diplomate, a été au service des régimes militaires, y compris celui de Blaise Compaoré (à l'ONU). C’était le candidat de l'armée à la présidence de la transition. Libéral convaincu – ouvertement hostile à l’époque à l'orientation de Thomas Sankara – il a été désigné par un collège de 23 membres à composante « militaire, cléricale et coutumière, [ … ] conservatrice » et « avec la discrète approbation d'Addis-Abeba, Abuja, Paris et Washington, qui entendent préserver ce pays sahélien, base des forces spéciales françaises et américaines, de toute aventure … »2. D'autre part, le Premier ministre Zida, par ailleurs ministre de la Défense, est accompagné au gouvernement par trois autres colonels, parmi lesquels Auguste Denise Barry à l'Administration territoriale, la Décentralisation et la Sécurité et Boubacar Ba au ministère stratégique des Mines et de l'Energie – le pays connaissant un « boom minier » depuis quelques années. Dans le Conseil national de transition (CNT) de 90 membres, dirigé certes par une personnalité civile, les forces de défense et de sécurité ont 25 membres – autant que les organisations de la société civile –, soit près du tiers de cet organe parlementaire. Ainsi, sans être l'actrice principale, l'armée demeure une actrice politique majeure au cours de cette transition. Il faut souligner que bien que tirant sa légitimité d'une insurrection réalisée par celles et ceux d'en bas, tout le processus de Transition s'est fait par le haut, voire par la hiérarchie militaire, symbolisée par le lieutenant-colonel Zida. Entre une sorte d’« attente émotionnelle » d'un messie militaire et une quête de légitimation (symbolique) de la confiscation militaire du pouvoir, pendant les premiers jours post-insurrectionnels, certains observateurs ont comparé Isaac Zida à Thomas Sankara – image référentielle pour une partie du peuple insurgé. Pourtant, « Zida n'est pas un nouveau Thomas Sankara. Il n'en a ni le parcours, ni la vision, ni même l'envie, si l'on se fie à son entourage. Il n'a pas d'antécédents sankaristes, même s'il a montré des gages à la société civile »3.

            Comme pour marquer la volonté de rupture avec le régime de Blaise Compaoré, l’éphémère président Isaac Zida a immédiatement pris quelques mesures censées réjouir les masses : arrestations de directeurs généraux d'entreprises réputés proches de l'ancien clan présidentiel, dissolution des conseils municipaux, etc. D'autres engagements annoncés quelques temps après par le Premier ministre Zida (possibilité de demande d'extradition de Blaise Compaoré, nationalisations d'entreprises, etc.) ont très vite été tempérés par le président Kafando. Ce qui peut être interprété comme une répartition des rôles, plutôt que comme l'expression de réels désaccords entre les deux hommes concernant le traitement des crimes de sang et le népotisme du régime précédent. Même l'opération mains propres, par ailleurs très brouillonne, semble ne viser qu’à faire diversion. Si lors d'un entretien, le lieutenant-colonel Zida avait affirmé que les comptes des anciens dignitaires du régime avaient été gelés dès son arrivée au pouvoir en tant que chef de l’État, « Selon une source proche du dossier, ce n'est en fait que plus tard, le 17 novembre, soit 48 heures avant qu'il ne rende son statut de chef de l’État [et plus de deux semaines après que ces personnes aient fui ce qui a pu leur laisser le temps de s'organiser], que Zida a agi en faisant parvenir une lettre aux institutions bancaires et caisses du pays. Dans ce texte, ce dernier les enjoignait de geler les avoirs de vingt-trois personnalités liées à l'ancien régime. “Certaines sont bien connues comme François ou Alizéta, mais tous les grands opérateurs économiques qui leur sont dévoués ne figurent pas dans la liste” se désole la même source »4. Il y aurait également eu des fuites organisées de capitaux et de documents dans la haute administration5. Des documents, précieux l'on imagine, oubliés par l'ex-président au moment de la fuite, auraient même été récupérés par la suite au palais, « sous haute escorte de soldats du Régiment de la sécurité présidentielle »6, dont le n° 2 était déjà devenu chef de l’État.

            De la même façon concernant les crimes de sang sous l’ère Compaoré, Zida et Kafando se sont très vite prononcés sur leur volonté de faciliter la résolution de deux dossiers « populaires », en l'occurrence celui de Thomas Sankara et celui de Norbert Zongo, mais ils ont finalement fait marche arrière. En effet, concernant le dossier de Thomas Sankara, alors que le 21 novembre 2014, le président de la Transition déclarait : « j'ai aussi décidé, par le fait du prince, que les investigations pour identifier le corps du Président Thomas Sankara ne seront plus assujetties à une décision de justice, mais du ressort du gouvernement », ce que Zida a réitéré en déclarant que le dossier Sankara serait « entièrement rouvert et la justice rendue », le 22 janvier 2015 Kafando parlait d’« incompréhension » avec la famille : « À l’évidence, la famille a des problèmes à faire ces investigations [ … ] Mais il ne faut pas trop vous attendre à ce que ce soit la transition qui commence les expertises ! C'est à la famille d'engager les procédures pour qu'ensuite le gouvernement l'accompagne et l'aide à identifier le corps. » Surtout, en dépit de l'image romantique que l'on a voulu donner d'une armée pactisant avec le peuple (ce qui ne signifie pas que certains soldats ne soient pas réellement placés du côté des masses), plusieurs dizaines de personnes sont mortes lors de l'insurrection populaire, certaines réprimées par le RSP et la gendarmerie, et plusieurs centaines ont été blessées, selon un rapport d’Amnesty International (2015). Or, si un hommage a été rendu aux « martyrs de la révolution » en grande pompe, la Transition n'a pas fait de ces dossiers une priorité semble-t-il. Un réel changement avec le régime déchu concernerait aussi la fin de l'impunité des forces de défense et de sécurité, y compris du RSP.

            On a fait peu de cas de ce qui s'est passé dans les régions rurales pendant ces journées d'insurrection et donc des segments les plus défavorisés de la société, les projecteurs étant dirigés vers la capitale et les grandes villes et vers certains des acteurs du mouvement social. Or, l'insurrection populaire a concerné de nombreuses localités du Burkina7, de nombreuses luttes sociales ont eu lieu sur les sites miniers industriels ou artisanaux, luttes qui ont également fait des morts. Car si la légitimité morale de l'exigence de l'alternance n'est pas discutable, les gens se battent aussi par rapport à leurs conditions de vie, contre leur marginalisation sociale qui a certes à voir avec la ploutocratie et le népotisme mais également avec la situation du Burkina Faso comme État néocolonial. La majorité des mobilisations populaires et spontanées qui émaillait le Burkina Faso depuis des années avait pour cause des raisons économiques et la marginalisation sociale. Certes, la dynamique populaire ne se réduit pas à l'approche purement matérialiste, elle a aussi à voir avec le mépris des institutions, des autorités, qu'elles soient centrales ou locales. Mépris qui a au fil des années radicalisé les modes de contestations et d'opposition. C'est aussi ce qu'ont dit l'incendie de l'Assemblée nationale et les menaces sur les députés s'ils votaient la loi modifiant la Constitution. Mais, force est de constater que les questions sociales, pourtant centrales pour une grande partie du peuple insurgé à travers le pays, sont absentes des débats institutionnels actuels, comme s'il suffisait d’évoquer la lutte contre la corruption. Il ne s'agit pas de trivialiser la question de la corruption, qui est importante, mais à condition de la poser pour ce qu'elle est, c'est-à-dire un phénomène structurel, surtout en néolibéralisme néocolonial. La corruption n'a pas été une caractéristique du seul clan rapproché de Compaoré, d'autres s'y sont livrés comme par exemple certains opérateurs économiques (ne se limitant pas à Alizéta Ouédraogo) et des hauts responsables de l'armée – dont certains siègent peut-être au CNT – comme le disaient les mutins en 2011 (Chouli 2012).

            Si le Burkina Faso est l'un des pays les plus pauvres du monde – malgré des indicateurs macroéconomiques plutôt positifs, du point de vue néolibéral – cela est surtout dû à son statut d’État néocolonial, accentué par l'option macroéconomique néolibérale prise depuis le début des années 1990. L’« accumulation par dépossession » (Harvey 2010) (« boom minier », agrobusiness, etc.) des transnationales ainsi que des opérateurs locaux, avec une soif inextinguible, aggrave la vulnérabilité sociale. Or, ce cadre structurel est totalement mis sous le tapis, les différences de classes étant remplacés par la distinction entre les pro et les anti-Compaoré. Mais comme les autorités l'ont souligné, la priorité de la Transition est l'organisation des élections prévues pour le 11 octobre 2015. Comme hier sous Blaise Compaoré, la majorité a les yeux rivés sur l’élection présidentielle de 2015. Bon nombre de forces sociales martèlent leur vigilance par rapport à des élections libres et transparentes, tandis qu'aucun projet économique et social alternatif à celui du régime précédent n'est proposé, ni même envisagé. Les principaux challengers à l’élection présidentielle se divisent entre néolibéraux et socio-démocrates, même quand ils ont été d'importants responsables du régime de Blaise Compaoré, voire pour certains des architectes de son régime, avant de s'en éloigner tardivement, ayant ainsi été au même titre que Blaise Compaoré les décideurs des choix macro-économiques. Par exemple, le responsable de l'Union pour le progrès et pour le changement (UPC), parti né en 2010, est Zephirin Diabré, chef de file de l'opposition politique jusqu'au lendemain immédiat de l'insurrection populaire, a été plusieurs fois ministre dans les années 1990 d'abord au portefeuille de l'Industrie, du Commerce et des Mines pour « mener à bien une politique active de privatisation. Ce qu'il fera ». Il gèrera ensuite la dévaluation du franc CFA (janvier 1994), l'application du plan d'ajustement structurel, notamment en tant que ministre de l’Économie, des Finances et du Plan. Par la suite, il poursuit sa carrière à l'extérieur, notamment au sein du PNUD, puis, de 2006 à 2011, au sein du groupe AREVA, ce qui lui offre un véritable réseau8. Néolibéral convaincu, il avait confié à la journaliste Anne Frintz qui lui demandait quel était son programme deux semaines avant l'insurrection : « Le programme c'est celui des bailleurs de fonds ». Le Mouvement pour le peuple et le progrès (MPP) a, lui, été créé suite au départ le 4 janvier 2014, de plus de soixante-dix membres du parti présidentiel, dont des piliers du régime, qui avaient été largement marginalisés ces dernières années par Blaise Compaoré : Salif Diallo, (conseiller spécial de Blaise Compaoré, plusieurs fois ministre, son bras droit avant sa « disgrâce » en 2009) ; Simon Compaoré (ancien maire de Ouagadougou) et Roch Christian Kaboré (ancien président du parti et de l'Assemblée nationale). Ces défections au sein du parti présidentiel n’étaient pas motivées par des désaccords organiques avec le régime mais par un certain tournant népotique : la place que prenait François Compaoré, frère du président, dans le jeu politique. Par ailleurs, la crise de légitimité du régime de Blaise Compaoré qui s’était encore illustrée, ces dernières années, par la situation quasi insurrectionnelle de 2011, suivie par la campagne de mobilisation contre la modification de la Constitution indiquait à ces fidèles de Blaise Compaoré qu'il était temps de quitter le navire sous peine de couler avec lui. Ainsi, malgré les tentatives de réécrire l'histoire par certains de ces politiques (Chouli à paraître ) et les promesses démagogiques, en décalage avec le consensus sur la tutelle des institutions financières internationales néolibérales9, il est presque certain que les options économiques et sociales resteront inchangées, même après la transition.

            Les 30 et 31 octobre 2014 deux processus se sont menés au même moment. D'un côté il y a clairement eu une insurrection populaire qui a réuni des centaines de milliers de Burkinabè sur tout le territoire. De l'autre, il y a eu une confiscation de l'insurrection populaire par l'armée. En l'espèce, cette situation fait singulièrement penser à l’Égypte en 2011, où là aussi l'armée a su conserver son pouvoir : se débarrasser de Moubarak pour garder le système inchangé n’était pas un sacrifice trop important. Combien de présidents renversés, empêchés de se représenter, ou démissionnés sans que ne soit mis fin à la domination faute d'une lutte contre le système reproducteur de la pauvreté et des injustices, dont Compaoré a été un symbole de longue durée ?

            Il est probable que si les élections ont effectivement lieu, l'armée restera un acteur central. Si les membres du gouvernement de transition ne peuvent pas être candidats, rien n'empêche l'armée d'en présenter un, transformé en civil comme l'avait été Compaoré – comme bien d'autres ailleurs. D'aucuns voient aussi concernant le Premier ministre une possibilité de scénario à la Amadou Toumani Touré (Mali) mutatis mutandis, c'est-à-dire qu'il se préparerait pour les échéances suivantes. Ses postures vis-à-vis des masses et ses accents démagogiques rendent cette possibilité crédible, sans compter ce qui peut se passer sous la transition, tant au niveau des membres du clan déchu que de l'armée10, dont l'unité dont est issu le Premier ministre s'est déjà faite entendre et l'a rappelé à l'ordre. Ainsi, certains voient la RSP comme « le garant de la transition » de fait11 … 

            De nombreux conflits sociaux ont toujours lieu dans différents secteurs (paysannerie, industrie minière, etc.). Cependant, il se trouve déjà des organisations de la société civile appelant le pouvoir à mettre fin aux protestations tandis que le ministre de la Sécurité et le Président lui-même ont déjà menacé très ouvertement de mettre un terme aux contestations ce qui relève de l’hysteresis de l'habitus. Du côté des partis politiques, la concurrence pour se distancier du régime Compaoré que beaucoup ont pourtant servi (certains avec beaucoup de zèle) et conquérir le pouvoir fait rage. Il est à craindre que la transition ne laisse la place qu’à la politique politicienne, qui est le destin de presque toutes les organisations politiques actuelles partout dans le monde, vu qu'ils ne sont pas porteurs d'un projet alternatif au néolibéralisme. Quant aux organisations citoyennes, pour la plupart elles ne s'organisent pas comme des contre-pouvoirs mais épousent la conception actuellement hégémonique de la société civile, c'est-à-dire néolibérale, dans laquelle elle ne fait que veiller sur la « bonne gouvernance ». Dans ce contexte, les mobilisations sont calquées sur l'agenda de la transition et des partis politiques pour lesquels seul le temps électoral compte plutôt que sur les problèmes concrets et spécifiques des différentes composantes sociales. Si de nombreuses forces sociales et les autorités martelaient à l'envi que plus rien ne sera comme avant au Burkina Faso, les premiers mois de la Transition et ce qui se donne à voir pour la suite n’éclairent pas sur la nature du changement.

            Acknowledgements

            This briefing, which took inspiration from a work in progress, is published with the authorisation of the West Africa office of the Rosa Luxemburg Foundation.

            Note on contributor

            Lila Chouli is an independent researcher and expert on social movements in Burkina Faso. In 2012, she published Burkina Faso 2011: Chronique d'un mouvement social through Tahin Party, Lyon. Her latest book, Le boom minier au Burkina Faso (Burkina Faso's mining boom) was published in August 2014 by Fondation Gabriel Péri.

            Notes

            1.

            Seul un parti politique avait appelé à l'insurrection populaire. La dynamique du 30 octobre a été spontanée et n'a pas été programmée par les “organisateurs” en dépit des déclarations régressives.

            2.

            RFI, 19 novembre 2014, « Michel Kafando: qui est le président de la transition burkinabè ? »

            3.

            Jeune Afrique, 25 novembre 2014, « Burkina Faso : Isaac Zida, toujours en première ligne ».

            4.

            Mondafrique, 16 décembre 2014, « Le rapport qui accuse le clan Compaoré ».

            5.

            Le Reporter, « Transition politique au Burkina. Blaise Compaoré et son clan doivent répondre ».

            6.

            Courrier confidentiel, n°71, 25 novembre 2014, « Zida, Diendéré, Compaoré … La face cachée de la transition ».

            7.

            Nous conseillons vivement l'article, sous forme de « mise au point », publié par le Réseau national de lutte anti-corruption sur les évènements : « Insurrection populaire au Burkina Faso : le peuple éduque les intellectuels », du 16 novembre 2014. http://www.renlac.com/index.php/actualites/item/176-insurrection-populaire-au-burkina-faso-le-peuple-%C3%A9duque-les-intellectuels

            8.

            Pour des informations biographiques sur Zéphirin Diabré, voir La Dépêche diplomatique, 22 mars 2010, « Zéphirin Diabré : Un parcours sinueux de l’économique au politique » ; 23 mars 2010, « Suite » sur lefaso.net.

            9.

            Mi-décembre, une mission du Fonds monétaire internationale, emmenée par Laure Redifer, a préparé le budget 2015 avec les autorités de Transition « pour le rendre crédible et réaliste ». « Les autorités ont expliqué leur souhait de continuer l'engagement programmatique avec les mêmes modalités que dans le passé. Les autorités ont fait part de leur plein soutien aux objectifs du programme triennal soutenu par le FMI approuvé en décembre 2013. » Cf. Département de la Communication du FMI, « Les services du FMI achèvent une visite au Burkina Faso », Communiqué de presse n°14/593, 19 décembre 2014. http://www.imf.org/external/french/np/sec/pr/2014/pr14593f.htm.

            10.

            Les anciens compagnons de Zida au sein de la garde présidentielle se sont déjà fait entendre. Ainsi, ce qu'il apparaît c'est que comme hier pour Blaise Compaoré l'une des préoccupations majeures à la tête de l’État est le comportement de l'armée face aux évènements, et notamment du RSP.

            11.

            L’Évènement, mise en ligne 23 janvier 2015, « Le RSP s'invite au débat de la transition ! »

            References

            1. Amnesty International . 2015 . Just What Were They Thinking When They Shot at People? Crackdown on Anti-government Protests in Burkina Faso . London : Amnesty International Publications . http://www.amnesty.org/fr/library/asset/AFR60/001/2015/fr/a688279d-3d1f-4fca-befc-9a906da08ed2/afr600012015en.pdf

            2. 2012 . Burkina Faso 2011 : Chronique d'un mouvement social . Tahin Party .

            3. 2014 . “ Social Movements and the Quest for Alternatives in Burkina Faso. ” In Liberalism and its Discontents: Social Movements in West Africa , edited by , 263 – 303 .

            4. Forthcoming/À paraître .

            5. . 2010 . Le nouvel impérialisme . Paris : Les Prairies Ordinaires .

            6. 2007 . L'Espace public oppositionnel . Translated from German to French by Alex Neumann. Paris: Éditions Payot .

            Author and article information

            Journal
            CREA
            crea20
            Review of African Political Economy
            Review of African Political Economy
            0305-6244
            1740-1720
            March 2015
            : 42
            : 143
            : 148-155
            Affiliations
            [ a ] Independent researcher
            Author notes
            Article
            1016290
            10.1080/03056244.2015.1016290
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            Sociology,Economic development,Political science,Labor & Demographic economics,Political economics,Africa

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